Ce n’est pas en atteignant le sommet que j’ai grandi, mais en apprenant à écouter la voix douce de mes limites

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Quand marcher n’est plus une performance, c’est que le corps a cessé de vouloir prouver, pour enfin écouter. On ralentit, non par faiblesse, mais par choix. On décide de ressentir chaque appui, chaque souffle, chaque pas qui effleure la Terre comme un battement de cœur.

C’est ce que je t’écrivais avant mon départ pour le Népal. Me voilà revenue, et je réalise que je n’ai pas eu le voyage que je voulais… mais celui dont j’avais besoin.

Après une longue journée de transport vers notre point de départ, nous atteignons enfin notre premier refuge, perché à 3000 mètres d’altitude. Nous sommes fébriles, excitées à l’idée de nous lever dès l’aube pour gravir la montagne et admirer le lever du soleil.

Je me couche tôt, mais le sommeil est de courte durée. À minuit trente, je me réveille en sursaut : ma respiration est courte, laborieuse. La peur s’installe. J’essaie de méditer, de me calmer… en vain. Cette sensation d’étouffement me garde éveillée. J’attends le matin avec impatience.

À 6 h, c’est le départ. Mon groupe part d’un bon pas, mais je m’essouffle rapidement. Je choisis de ne pas faire cette première montée, pour préserver mes forces. Autour de moi, certains ont mal à la tête, d’autres vomissent ou peinent à reprendre leur souffle. L’altitude nous rappelle ses lois, réduisant notre oxygène et nous ramenant à l’essentiel.

Après le déjeuner, nous entamons la véritable ascension. La peur de la nuit s’est dissipée, et au repos je respire mieux. Mais dès que je commence à marcher, je retrouve ce souffle court. Je me tiens en queue de groupe, aux côtés de deux autres compagnons. Le Sherpa ferme la marche, attentif à notre état.

La montée semble interminable. La pente est douce, mais constante. Il fait chaud. Pourtant, autour de nous, tout est beauté : les rhododendrons en fleurs, la majesté des montagnes, le ballet silencieux de notre groupe en file indienne.

Je peine, je m’essouffle. Voyant ma fatigue, le Sherpa me propose d’appeler une moto pour m’amener au prochain refuge. Je lui demande combien de temps il reste à marcher. « Environ trente minutes », répond-il. Je décide de continuer à pied.

À un moment, je confie à Jean-François, l’un des organisateurs, que je touche à ma limite. Et soudain, je fais le lien avec ma vie quotidienne : combien de fois ai-je poursuivi, dépassé mes limites, simplement parce que j’avais dit « oui » au départ, refusant de me réajuster en chemin ?

Jean-François me regarde et me dit doucement : « Sachant que tu atteins ta limite, qu’aurais-tu pu faire autrement ? » Je souris, lucide : « J’aurais dû prendre la moto. »

Peu après, au détour d’un sentier, nous croisons par hasard un homme avec une moto. Le Sherpa n’a même pas eu à l’appeler. Cette fois, j’accepte l’aide, consciente de la grande leçon que la montagne vient de m’offrir.

Le soir, nous discutons de la suite du parcours. Les deux prochaines journées seront les plus ardues. Je réalise que je peux encore rejoindre Katmandou par la route aujourd’hui, mais qu’après, le seul moyen de redescendre sera l’hélicoptère. Mon cœur est déchiré. Pourtant, cette première journée m’a révélé mes fragilités : l’altitude, le souffle court, une condition physique pas tout à fait prête pour ce défi.

Le lendemain, je redescends vers Katmandou, le cœur lourd de laisser le groupe, mais avec la conscience claire que continuer aurait été un risque pour ma santé.

Ce n’est pas en atteignant le sommet que j’ai grandi, mais en apprenant à écouter la voix douce de mes limites.

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